Après une vie passée à draguer tous les ports du monde, Erik Van Baren, ancien président du conseil d'Ackermans et van Haaren, a choisi de sonder vos portefeuilles. Fondateur de Donorinfo, établissement d'utilité publique, il se mobilise pour que les particuliers et les entreprises retrouvent le chemin de la philanthropie.
De nationalité néerlandaise, il a grandi en France, vécu en Belgique et travaillé sur tous les continents. Ancien directeur général d'Ackermans & van Haren, holding industriel coté au Bel20, Erik van Baren en présida le conseil d'administration jusqu'en 2006. Un an auparavant, il avait créé Donorinfo. Cette fondation d'utilité publique offre une information précise à tous ceux qui souhaitent soutenir une organisation philanthropique. Objectif: augmenter le nombre total des dons aux associations de terrain qui viennent en aide aux personnes dans le besoin.
Cette volonté de faire bouger les choses ne traduit pas un simple besoin d'altruisme. Elle s'appuie sur une réflexion personnelle... Erik van Baren C'est exact. Nous sommes en train d'affronter des temps nouveaux. Deux grands auteurs l'ont très bien exprimé. Le philosophe Michel Serres a écrit "Le Temps des crises". Il nous y rappelle que le monde actuel a plus changé en 50 ans qu'en 2000 ans. Le problème, c'est que les gouvernements continuent à agir comme autrefois!
L'autre grand livre, c'est "Le Dérèglement du monde", d'Amin Maalouf. Face aux bouleversements actuels, il n'y a, selon Maalouf, que deux possibilités: soit chacun se replie sur soi et ce sont "les identités meurtrières" dont il a parlé, c'est-à-dire le choc des civilisations; soit les gens se parlent de religion à religion et jettent des ponts pour imaginer un monde nouveau, y compris sur le plan économique.
Avant de parler de Donorinfo, arrêtons-nous sur ces "identités meurtrières". Toute votre vie professionnelle y a été confrontée, non? Il est vrai que j'ai aussi adoré ce livre-là de Maalouf, car j'y retrouve ma vie. Ma famille a toujours été l'exemple d'identités non meurtrières: tout le monde partait travailler à l'étranger.
En fait, j'ai eu trois vies. La première, celle de mon enfance, était déjà celle d'une famille d'expatriés. Mon père, ingénieur civil, avait fait ses études en Hollande, mais il avait été éduqué en Belgique. Il a été nommé sur un chantier au Havre. J'ai très vite eu la même passion que mon père pour le dragage. Lorsque j'avais un bon bulletin, je pouvais l'accompagner sur les chantiers! Notre famille a beaucoup bougé.
Votre deuxième vie? C'est ma vie professionnelle, toujours aussi internationale. J'ai très vite été amené à courir le monde. Mes quatre fils sont nés chacun dans un pays différent... J'ai travaillé en Egypte et au Ghana. J'ai approfondi le canal de Venise. J'ai également bossé en Afrique du Sud et dans le Golfe persique. C'était l'époque de la première crise pétrolière et il a fallu moderniser des ports pour pouvoir importer et exporter en Arabie Saoudite. J'ai aussi eu des missions aux Émirats arabes unis et en Iran jusqu'à la chute du chah... C'est un parcours qui fait réfléchir.
D'où votre troisième vie? Oui. Quand ma retraite s'est présentée, au début des années 2000, j'ai eu envie de faire autre chose que des affaires. C'est pour cela qu'est né Donorinfo. Je souhaitais encourager la philanthropie, sachant que les pouvoirs publics seront de plus en plus démunis. Les Trente Glorieuses sont derrière nous pour toujours.
Quels sont les problèmes actuels? Le premier, évident, est l'endettement des États, ce qui menace le financement de nos pensions. La retraite par répartition, qui est une belle idée en soi, fait surtout qu'on ne provisionne pas pour ceux qui travaillent lorsqu'ils seront à la pension. Le système ne peut pas tenir. On a donc endetté nos enfants et nos petits-enfants.
Second problème, tout aussi insoluble: l'augmentation du chômage à cause des problèmes de concurrence internationale et de délocalisation. Alors, soit on fait comme aux États-Unis, et chacun se débrouille. Soit, on choisit de mettre en place une société plus solidaire, où les plus nantis pourront aider les plus faibles. Je suis résolument pour cette deuxième voie. Or, l'État sera de moins en moins capable de remplir son rôle social. Ou alors, ce sera au prix de nouveaux endettements et d'une catastrophe annoncée!
D'où l'idée de Donorinfo? En effet. L'État doit pouvoir faire des économies sans paralyser le monde de ceux qui travaillent. Il faut donc soulager l'État par une action voulue et acceptée par ceux qui ont la chance d'être un peu mieux placés que d'autres... Le but de Donorinfo est de développer un système d'information clair et rigoureux qui encourage les gens et les entreprises à donner en toute confiance. J'insiste: Donorinfo n'accepte aucun don, ni subvention - son budget annuel de 150.000 euros est assumé intégralement par quelques personnes privées. Nous sommes totalement indépendants sur les plans politique, philosophique et financier.
Comment sélectionnez-vous les organisations que vous renseignez? Nous désirons avoir accès aux renseignements financiers. Les organisations qui souhaitent être publiées sur donorinfo.be doivent accepter que leurs chiffres soient vérifiés et présentés suivant un schéma d'analyse clair et harmonisé. D'un côté, nous relevons les sommes dépensées pour les projets et activités, la récolte de fonds et l'information, l'éducation, la sensibilisation. De l'autre côté, nous distinguons les dons et les legs, les produits d'activités, les produits de services rendus aux bénéficiaires de l'aide et les subsides. Les chiffres publiés sur Donorinfo.be sont tous vérifiés par un organe externe agréé: réviseur d'entreprise, expert-comptable agréé IEC ou un comptable agréé IPCF.
Pas d'excuse pour ne plus donner...? C'est bien cela. Souvent, le public - particuliers ou entreprises - brandit un double argument pour ne rien faire: "Nous ne savons pas à qui donner et, de toute façon, on ne sait pas contrôler l'utilisation des fonds." Voilà pourquoi Donorinfo publie des informations objectives et détaillées sur 230 organisations actives en Belgique. Plus d'excuse, en effet!
Un travail de fond, loin des grand-messes médiatiques caritatives? Je ne nie pas l'importance des dons qui sont faits à ces occasions, souvent de manière émotionnelle. Il faut de ces grandes opérations. Comme il faut de grandes organisations humanitaires, capables de remplir un avion cargo en une nuit. Mais je ne veux pas qu'on oublie toutes les plus petites qui contribuent à tisser tout un réseau de solidarité.
Certaines campagnes média jouent résolument l'émotion. Vous en pensez quoi? Certaines associations font de la publicité en passant par des agences de communication. L'utilisation d'images misérabilistes m'énerve. Ce n'est pas comme cela qu'on doit conscientiser les gens. De plus, il faut payer ces instituts de marketing, qui prennent parfois un pourcentage sur les sommes récoltées.
Je ne mets pas en cause les actions de terrain que rendent possible de telles collectes de fonds. Mais je ne désire pas sponsoriser les sociétés de marketing en prenant une part des dons destinés à ceux qui souffrent...
Lorsqu'une entreprise développe des actions philanthropiques, doit-elle le faire savoir? Oui... si elle fait bien les choses, c'est-à-dire en toute transparence et en vérifiant que les fonds soient dépensés de manière correcte. Je ne suis pas en faveur du saupoudrage, au coup par coup, qui relève du bon vouloir de tel ou tel administrateur. En revanche, je crois aux vertus d'un discours clair, présenté sans ambiguïtés aux actionnaires - à qui il appartient de décider - et par lequel l'entreprise explique son idéal, qui ne passe pas que par le business mais aussi par une action sociale.
À l'anglo-saxonne? Exactement. Les pays protestants ont une tout autre mentalité. Les gens ne cachent pas leur réussite... que Dieu apprécie - je force à peine le trait! Plus ils sont riches, plus ils doivent donner, en accord avec leur pratique religieuse. Dans nos pays latins et catholiques, l'argent est perçu comme quelque chose de sale. C'est dans l'Évangile. Le fait d'être riche ne garantit d'ailleurs en rien l'accès au Paradis... Alors, on se cache, on dissimule. Et on accumule... Pourquoi? Pour être toujours plus riche? Oui, je sais, on répond toujours que c'est "pour ses enfants". Mais combien de gens aisés ont-ils demandé à leurs enfants s'ils ne seraient pas d'accord, plutôt que d'attendre leur décès, de déjà mettre une partie du patrimoine dans une association d'utilité publique dont ils seraient administrateurs? Un certain nombre d'enfants répondraient par l'affirmative... Aimer ses enfants, c'est leur apprendre à aimer les autres.
Ne vous reproche-t-on jamais de tenir un discours un peu paternaliste? Je l'assume en tout cas. En rappelant à tous ceux qui ont beaucoup d'argent que leur cercueil n'aura pas de tiroirs, et que leur linceul n'aura pas de poches! Quand on est déjà très riche, augmenter son patrimoine n'a plus beaucoup de sens. Notez qu'on parle toujours de patrimoine, et pas de fortune, qui est un vilain mot...
Nous arrivons à la fin d'un système. La succession rapide de crises à laquelle nous assistons nous envoie un signal clair. Nous sommes passés d'une philosophie du groupe, qui était étouffante parce qu'il fallait tout accepter, à un individualisme nourrissant, et c'était un bien. Mais cet individualisme aujourd'hui poussé à l'excès fracasse le groupe. Il nous faut changer le monde. La générosité doit reprendre le dessus.
230 organisations en ligne Le moteur de recherche donorinfo.be permet de chercher une organisation soit par ordre alphabétique, soit à l'aide de clés de recherche (thème, besoins, localisation...)
Chaque organisation y est présentée sur deux fiches en toute objectivité et impartialité:
La fiche projet présente les renseignements pratiques, les objectifs, les activités...
La fiche financière présente les moyens financiers de l'organisation, affectés selon un modèle standardisé et qui a contrôlé les comptes du dernier exercice.
Ce contrôle externe n'a pas pour but de vérifier l'efficacité avec laquelle les sommes ont été dépensées, mais de vérifier qu'elles ont été correctement imputées.
La banque de données donorinfo.be est actualisée chaque jour.
www.donorinfo.be info@donorinfo.be
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